La MRC du Val-Saint-François fait un pari audacieux : transformer un ancien dépotoir en parc d’énergie solaire. Pour ce faire, elle souhaite participer au récent appel d’offres d’Hydro-Québec pour l’acquisition d’un bloc de 300 MW d’énergie solaire photovoltaïque. Toutefois, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Le terrain visé, d’une superficie d’environ 23 hectares (56,8 acres), est un ancien lieu d’enfouissement sanitaire situé sur le chemin Keenan dans le Canton de Melbourne. On y retrouve actuellement l’écocentre de la MRC du Val-Saint-François.
Environ 12,9 hectares (32 acres) pourraient servir à installer des panneaux photovoltaïques. Un espace actuellement en friche, à cause de la contamination du sol. «Rien ne peut s’y passer, parce que les usages sont très restrictifs», spécifie Martin Tremblay, directeur général de la MRC du Val-Saint-François.

Défi : terrain situé en zone agricole
Là où le bât blesse, c’est que cet ancien dépotoir est situé en zone agricole. Ce qui, d’emblée, exclut la MRC de toute possibilité de participer à cet appel d’offres.
Par le biais d’une résolution, adoptée par le Conseil de la MRC en juin dernier, l’ensemble des élus de la région demandent à Hydro-Québec de revoir ses critères d’admissibilité. Ou, à tout le moins, de prévoir des exceptions lors de cas semblables.
«Nous sommes en accord avec le principe de ne pas installer de telles installations dans une zone agricole. Parce que ça couvrirait un terrain qui deviendrait non exploitable. Mais aucune activité agricole n’est possible dans cet ancien lieu d’enfouissement. Pourquoi ne pourrait-on pas permettre d’y ajouter des panneaux solaires?», questionne Pierre Tétrault, préfet de la MRC du Val-Saint-François et maire de Valcourt.
Il ajoute que les possibles installations photovoltaïques seraient loin de toute habitation et à proximité de lignes de transport d’électricité. «Tout est à l’avantage de ce site. À l’exception du fait qu’il est situé en zone verte», souligne-t-il.

Hydro-Québec maintient sa position
Cet appel d’offres d’Hydro-Québec s’inscrit dans son intention d’exploiter davantage le potentiel de l’énergie solaire au Québec. La société d’État a pour objectif de développer un total de 3000 MW de cette énergie d’ici 2035.
«La transition énergétique, les avancées technologiques et les coûts de plus en plus avantageux de la filière solaire incitent Hydro-Québec à élargir le rôle que cette source d’énergie occupera dans ses approvisionnements en électricité», expose Paule Veilleux-Turcotte, conseillère stratégique et porte-parole d’Hydro-Québec.
Elle fait savoir qu’Hydro-Québec maintient sa position.
«Nous devons respecter les règles d’attribution de l’appel d’offres. Nous ne pouvons privilégier un projet en particulier, comme celui de la MRC du Val-Saint-François. Hydro-Québec communiquera avec la MRC afin de lui expliquer la situation.»
L’UPA-Estrie d’accord, si les impacts sont minimes
Dans ses premières entrevues accordées il y a quelques jours à d’autres médias estriens, Michel Brien, président de la Fédération de l’UPA-Estrie, croyait à tort que le site ciblé était situé à Sainte-Anne-de-la-Rochelle. Dans ce qui était l’ancien dépotoir F&M Bessette, fermé en 2006. Ce qui n’est pas le cas.
«Le site de Sainte-Anne-de-la-Rochelle n’appartient pas à la MRC. C’est un site orphelin repris par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs», précise Martin Tremblay, directeur général de la MRC du Val-Saint-François.
Michel Brien affirme que son organisation ne souhaite pas qu’Hydro-Québec accepte des projets en zone agricole. Ses propos sont toutefois plus nuancés pour ce cas particulier.
«Pour le site comme tel, on ne voit pas d’impact pour l’agriculture. Le seul impact serait le raccordement de ce parc solaire au réseau de distribution d’électricité.»
Impacts qui, reconnait-il, seraient minimes. Parce que l’installation de pylônes permet de poursuivre les usages agricoles, malgré quelques contraintes.
Pour le président de l’UPA-Estrie, l’enjeu est de s’assurer, si un réseau de raccordement était mis en place, de bien protéger les érablières. Ce qui, convient-il, est déjà une préoccupation d’Hydro-Québec. Il cite comme exemple l’actuel projet de modernisation de la ligne électrique entre Stukely-Sud et Bonsecours. «Dans le premier tracé proposé, il y avait une érablière toute proche. La propriétaire a contacté Hydro-Québec et ils ont tassé un peu la ligne. Ils sont accommodants là-dessus.»

Changement de zonage possible?
Bien qu’elle ne puisse se prononcer sur ce dossier particulier, la porte-parole de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), Marie-Ève Bouchard, signale que la Commission avait autorisé, en octobre 1980, l’utilisation de cette terre à une autre fin que l’agriculture.
L’un des recours de la MRC pourrait être de demander à la CPTAQ d’exclure le terrain de la zone agricole. Ce qui la rendrait éligible à l’appel d’offres.
Marie-Ève Bouchard rappelle brièvement quelques règles à cet égard. «L’exclusion d’une superficie de cette zone doit faire l’objet d’une demande d’exclusion à la Commission. Lorsque la Commission ordonne l’exclusion d’une superficie située en zone agricole, celle-ci est habituellement contiguë à une zone non agricole déjà existante.»
Le directeur général de la MRC répond que ce scénario est envisagé, mais que les délais administratifs seraient trop longs.
«Le processus de demande d’exclusion à la CPTAQ ferait en sorte de dépasser la date de dépôt des projets à Hydro-Québec, en octobre.»
Si la MRC décidait d’entamer de telles démarches, Michel Brien avance qu’elle aurait l’appui de l’UPA-Estrie.

D’où vient l’idée?
L’idée de ce projet tire son origine des consultations publiques en lien avec l’encadrement des énergies renouvelables dans le Val. Que la MRC a mis en branle l’an dernier. À ce moment, une entreprise a discuté à bâtons rompus avec des représentants de la MRC de la possibilité d’établir un parc éolien à cet emplacement. Comme ce projet n’est qu’embryonnaire, la MRC ne souhaite pas, pour le moment, divulguer le nom de cette entreprise.

Acceptabilité sociale du solaire plutôt que l’éolien
Ces consultations avaient d’ailleurs mis en lumière une vive opposition citoyenne vis-à-vis de l’installation d’éoliennes sur ce territoire. Ce que confirme le préfet de la MRC. «Les résultats du sondage de la MRC, rendus publics en mai dernier, indiquent que le solaire est beaucoup plus populaire. Les gens trouvent que les éoliennes peuvent déranger.»
Même son de cloche du côté de Pierre Avignon, représentant du groupe citoyen Vers un Val Vert.
«La population semblait davantage ouverte à l’installation de panneaux solaires sur ce genre de site. Plutôt que d’installer des éoliennes sur des propriétés privées. Il faut sans doute se réjouir de la prise en considération des sensibilités locales pour tout développement de cette ampleur», exprime-t-il.
Le président de l’UPA-Estrie mentionne que son organisation est elle aussi davantage favorable à un projet de parc solaire comme celui-là plutôt qu’un parc d’éoliennes.

Trop tôt pour se lancer?
Ce vaste chantier visant à explorer le potentiel de projets d’énergies renouvelables dans le Val et d’en baliser les usages n’est pas encore terminé. Le guide qui établira les balises ne sera déposé qu’à l’automne prochain au Conseil de la MRC.
Dans ce contexte, n’est-il pas trop tôt, pour la MRC, de se lancer dans un tel projet, alors qu’elle n’a pas encore établit officiellement les règles d’encadrement?
«C’est un projet relativement modeste par rapport à ce que pourrait représenter l’installation d’éoliennes. Ça pourrait servir en quelque sorte de banc d’essai», répond Pierre Tétrault.

Un projet «public-privé»?
Le présent appel d’offres d’Hydro-Québec priorise les projets communautaires et ceux impliquant une participation autochtone, évalués selon des critères de sélection.
Qu’en serait-il de ce projet, s’il pouvait bel et bien aller de l’avant? S’agirait-il d’un projet communautaire, en partenariat avec le privé? Pierre Tétrault ne souhaite pas s’avancer là-dessus pour le moment. «Il n’y a évidemment aucun projet officiellement déposé. Nous n’avons eu qu’une discussion avec une entreprise. Il y a de l’intérêt, mais rien n’est officiel.»
Recherche d’appuis
La MRC du Val-Saint-François cherche maintenant des appuis pour infléchir la position d’Hydro-Québec. Pour ce faire, elle a interpellé, entre autres, les députés de la région. De même, elle a sollicité l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FQM) pour obtenir leur appui.
Pierre Tétrault rapporte que l’UMQ a déjà répondu favorablement à cette demande.
Des dépenses récurrentes pour cet ancien dépotoir
La MRC du Val-Saint-François a exploité ce lieu d’enfouissement de 1981 à 2010. Par la suite, le lieu est devenu un lieu d’enfouissement technique de 2010 à 2011. Le site servait de dépotoir pour les municipalités du Val-Saint-François, à l’exception d’Ulverton. De même que pour l’arrondissement Brompton de Sherbrooke.

Un site pour lequel l’ensemble des municipalités du Val-Saint-François doivent payer pour les analyses des eaux souterraines. Pour s’assurer qu’elles répondent aux normes. De même, une partie de l’argent est annuellement mis de côté dans un fonds. Dédié à une intervention environnementale d’urgence, si nécessaire.
«Ce projet nous permettrait d’être capables de rentabiliser l’ancien dépotoir. Tout en rapportant un peu d’argent à la MRC. Ce serait une bonne affaire», soutient Pierre Tétrault.
Si la MRC réussit à obtenir les autorisations nécessaires comme elle le souhaite, elle devra faire parvenir sa proposition à Hydro-Québec d’ici le 3 octobre prochain. Date d’échéance pour s’inscrire à l’appel d’offres.
«En bout de ligne, ce sera à Hydro-Québec de décider. Mais c’est un beau projet porteur qui serait, je crois, une première au Québec. Pourquoi ne pas l’essayer?», suggère le préfet.
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